WINTZENHEIM . CONSCRIT

Les conscrits en Alsace


(illustration R. Stab, collection Fabienne Lutz)

Les rites, les fêtes et les ornements qui marquent l'annonce du service militaire, au début de l'âge d'homme, sont directement issus du système de tirage au sort. Cette pratique apparut en France en 1691, à l'initiative des magistrats municipaux tenus de fournir des recrues aux milices auxiliaires de l'armée royale régulière (le nom de Melissa, milices, est souvent donné aux conscrits de Haute-Alsace). Le 5 septembre 1798, le Directoire adopta la loi Jourdan, qui rendait obligatoire le service militaire pour tous les hommes âgés de vingt à vingt-cinq ans, sans distinction, et permettait ainsi de renforcer les armées décimées par les guerres révolutionnaires. Les règles du tirage au sort furent rétablies sous la pression de l'opinion, mais, en fait, jusqu'à la fin des guerres napoléoniennes, ce tirage demeura purement symbolique, puisqu'il n'y avait pas de "bons numéros" exemptant du service. Les armées étaient grandes mangeuses d'hommes et, en période de pénurie, on engageait même les bossus et les boiteux, à l'image de Joseph, Le conscrit de 1813 d'Erckmann-Chatrian, qui souffrait de claudication. Seuls les édentés étaient renvoyés à leurs foyers car il fallait, au combat, pouvoir déchirer la cartouche de poudre avec les dents.

Le tirage au sort fut réellement codifié en 1818. Les nouveaux règlements prévoyaient l'exemption de certaines catégories de citoyens, notamment les instituteurs et les orphelins de guerre. Ils autorisaient le remplacement, qui permettait aux fils de familles fortunées ayant tiré un "mauvais numéro" de se faire représenter par un volontaire, moyennant finances, souvent par l'intermédiaire d'un courtier : le cours du soldat oscillera, suivant l'époque, entre 1200 et 3000 francs. Ce système de recrutement sélectif subsistera jusqu'en 1872, date à laquelle la République égalitaire institua le service militaire obligatoire.

Jusqu'à la fin des guerres napoléoniennes, le cérémonial conscriptionnel se limitait à la journée du tirage au sort et à celle du conseil de révision. Après les réformes de 1818, l'enjeu réel - partir ou ne pas partir - aux conséquences considérables, suscita un folklore et des rites plus élaborés.

Organisateurs de spectacles

A la Saint-Sylvestre (Melissa-Taj), les conscrits procèdent, à l'auberge du village, à l'élection de leur comité des fêtes (président, trésorier, porte-drapeau, tambour-major), puis déploient pour la première fois le drapeau peint aux armes et date de leur classe, qu'ils promènent dans les rues en entonnant des chansons patriotiques, au son de la clarinette, de la trompette ou de l'accordéon. Les réunions ont ensuite lieu chaque semaine ; elles permettent aux jeunes gens de répéter leur programme de cortège, avec pas dansés ou sautillés, et de s'entraîner au maniement du drapeau (Fahneschwinge) et de la lourde canne à pommeau doré du tambour-major.

Dès Carnaval, les conscrits deviennent les organisateurs et les animateurs des fêtes villageoises et des célébrations rituelles. Les villageois offrent, au cours de collectes animées, des oeufs, du fromage, de la farine, du lard, du vin et de l'eau-de-vie, matières premières de leurs joyeuses agapes.

La fête au village

Messti ici, Kilbe là... Quelle que soit sa dénomination, la fête du village a, partout, des origines religieuses marquées. Messti et Kilbe sont, à l'origine, des fêtes votives, la célébration du saint patron protégeant le village. La Kilbe se déroule entre fin juin et fin octobre. Souvent, elle est programmée un certain dimanche dans un mois considéré (comme à Wintzenheim, les deuxième et troisième dimanches d'août, proches de la Saint-Laurent).

Deux à trois semaines avant la date fixée, la Kilbe, source importante de profits, est vendue par adjudication, au cours d'une vente aux enchères à la chandelle. Le plus offrant détiendra les stands qui vendent boissons et nourriture. Le groupe de conscrits, les pompiers du village, ou une association sportive, culturelle, ou de musique, prendront en charge l'organisation.

Source : L'Alsace et ses fêtes, Georges Klein - Gérard Leser - Freddy Sarg, Difal Erce Jérôme Do Bentzinger Éditeur 1995.


Les conscrits

"Hoï ! Hoï ! Hoï !" C'était le cri, plus ou moins enroué, des conscrits dans les rues, le chapeau à rubans sur la tête, la bouteille de vin blanc à la main. "Hoï !", hurlé comme un "morituri te salutant", crié plus tard comme pour dire : "Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus... Encore un peu de temps et je ne serai plus le même."

Sale histoire que l'invention de la conscription, sous la Révolution. Les jeunes gens, en âge de se sacrifier à l'État, devaient tourner la roue de la fortune. Le sort aveugle leur demandait de tirer un numéro dans la tombola de l'avenir. Partira ou pas ? Pas de tergiversation : 604 perd et part, 908 gagne et reste. La vie définie par le hasard. Alea jacta est. Deux possibilités : partir et revenir entre quatre planches avec les insignes posthumes d'officier, rester et mourir lentement d'un abus de Hybridegiggeri (vin de mauvaise qualité).

Cette loterie macabre a donné, pour les siècles des siècles, la liberté à tous les conscrits de se livrer à tous les excès le jour de la Kilbe, le 1er mai et avant le conseil de révision. "Hoï ! Hoï ! Hoï !" C'était leur cri de ralliement, leur sésame à la luxure. Lors de la Kilbe, ils défilaient avec un Kelwahammel, un agneau symbole de l'innocence envoyée à l'abattoir. Pour conjurer le mauvais sort, on leur achetait des Laabkueche (pains d'épices). Ils couraient et sautaient dans les rues, avant de poser pour la postérité. Plus tard, les soirs où la nostalgie demandait ce qu'ils étaient devenus, on sortait les photos et on nommait les morts. "Hoï ! Hoï ! Hoï !"

Source : Huguette Dreikaus, L'Almanach d'Huguette 2001


Conscrits et traditions


Tirage au sort

La première moitié du 19ème siècle fut l'âge d'or du tirage au sort et des remplacements et dura, pour l'Alsace, jusqu'à l'annexion de 1870. Par ce système, on désignait les jeunes gens qui devaient accomplir leur service militaire.

Le Conseil de révision ou "d'Muschterung"

Le conseil de révision avait pour fonction de déclarer les jeunes gens aptes ou inaptes au service militaire. On s'y rendait en tenue de conscrit sur un plateau agricole tracté par un cheval, et plus tard par un tracteur. A la sortie, les garçons achetaient des badges sur lesquels on pouvait lire "Bon pour le service", et des nœuds en ruban tricolore qu'ils agrafaient sur leur poitrine.

Période et tenue des conscrits

La période des conscrits s'échelonne sur trois années :

Les Wonsiger : on démarre dès l'âge de 17 ans. Cette catégorie est appelée Wonsiger ou Basamelissa. Ils n'ont généralement pas de drapeau, ou juste un drapeau tricolore, et le tambour-major voit sa canne habillée d'un balai de branchages décorés de rubans. Ils portent un pantalon sombre, un tee-shirt et une carotte accrochée sur la poitrine (voir détails photo 21). Ils ne portent pas de chapeau. Pour le cortège de la Kilbe, ils marchent en troisième et dernière position.

Les Kleinmelissa : l'année suivante, à 18 ans, ils passent au stade de "pré-conscrits". Ils se déplacent avec leur drapeau tricolore et portent un pantalon blanc avec une chemisette bleue ou un tee-shirt blanc. Ils portent un seul nœud agrafé sur la poitrine. La canne du tambour-major est dépouillée de son balai et ornée comme celle des conscrits. Ils marchent en seconde position lors du cortège de la Kilbe.

Les Melissa : c'est l'année des 19 printemps et des grandes festivités avant le départ à l'armée. Les conscrits revêtent un pantalon blanc et une chemise blanche arborant deux nœuds en ruban tricolore. Ils portent un chapeau surmonté d'un "Strüss", bouquet de plumes et de fleurs, et orné de rubans soyeux tricolores ou tissés de motifs, que l'on laisse flotter dans le dos. Le tambour-major porte le chapeau le plus majestueux.

Le drapeau et la canne du tambour-major

Parmi les attributs des conscrits on trouve, bien sûr, le drapeau, fruit de l'imagination collective et de l'originalité des participants. Chaque classe se devait de présenter son drapeau souvent peint par des artistes locaux. L'image peinte représente souvent un endroit caractéristique de la commune. 

Véritables oeuvres d'art, décorées par le tambour-major désigné par la classe, les cannes de conscrits étaient exécutées par un tourneur sur bois, et le lourd pommeau, souvent orné de clous à tête laiton, était parfois sculpté. 

Le Kelwahàmmel

Ce bélier, trimbalé lors des festivités de la Kilbe, était souvent plus saoul que les conscrits eux-même. Le but était de faire entrer de l'argent dans la caisse. Pour ce faire, on vendait des billets de tombola dont le gros lot était ce fameux mouton. L'heureux gagnant était souvent plus embêté qu'autre chose par ce lot sur pieds, et le mouton était souvent revendu au boucher du coin.

La Kilbe

L'organisateur de la Kilbe, particulier ou association, l'obtenait aux enchères. Le coup d'envoi de la fête était donné le dimanche à 13 heures et débutait par un défilé qui amenait des biscuits, portés par des Alsaciennes, au maire et à ses premiers adjoints, qui offraient le verre de l'amitié. Dès son arrivée sur la place de la Kilbe, l'orchestre prenait place sur son estrade et les trois premières danses (die drei ersti) étaient réservées aux trois classes de conscrits qui ouvraient le bal.

Autour de la piste de danse, on trouvait les autos-boxe, le manège pour les petits, le carrousel pour les grands, les bateaux-balançoires, le stand de tir, le Bombomstànd qui vendait les chiques, la piste de quilles, etc... La Kilbe se prolongeait jusqu'au lundi soir, puis reprenait le samedi suivant.

La Kilbe prenait fin le second lundi avec son Bibeletànz, danse gratuite réservée aux tous jeunes qui prenaient possession de la piste dans un joyeux et bruyant désordre, avec distribution de papillotes et de Schümbomboms.

Le lendemain, les conscrits enterrent la Kilbe et déambulaient dans le village habillés de noir, en se lamentant, et en vidant les derniers litres du tonneau qui les accompagnait durant toutes ces festivités sur un chariot à ridelles. La fin de la Kilbe marquait la fin de leur vie de conscrit, et annonçait les premiers départs à l'armée dès le début de l'année suivante...

Source : Histoires de conscription, les conscrits d'Ingersheim, Eugène Schubnel avec la collaboration de Michel Rogez, Société d'Histoire et de Culture d'Ingersheim


Festivités : la Kilbe

C'est la Kilbe, la fête du village, souvent liée à la fête patronale. On célébrait le saint patron de l'église tout en s'adonnant à des fêtes païennes. Chaque association y allait de son petit commerce pour renflouer ses caisses. Les pompiers vendaient leurs pains d'épices porte-bonheur. On allait mettre aux enchères le Kelwahammel, le mouton de la Kilbe, cédé à celui qui en offrait le plus ou à celui qui devinait son poids exact. D'aucuns s'occupaient du mât de cocagne, le Kelwabaum, un arbre immense au tronc pelé et enduit de savon noir. Le droit d'y grimper s'achetait et celui qui arrivait jusqu'en haut, à l'endroit où il restait quelque feuillage, gagnerait le lot qu'il parvenait à détacher d'une des branches. S'il avait un bon il pouvait se faire raser gratis ou chercher une brioche à l'œil, s'il décrochait une immense saucisse remplie de sciure, on la lui remplaçait contre le même calibre en saucisse non factice.

A tout coin de rue les paris étaient ouverts sur la force de deux protagonistes ou sur leurs capacités à ingurgiter un maximum de choses en un minimum de temps. 

Concours et adjudications étaient les deux mamelles de la fête. D'aucuns pouvaient y jouer les hercules de foire. D'autres cherchaient à démontrer leur capacité à "estimer" les choses. Et les filles dans tout cela ? Elles étaient toutes jolies ce jour-là, prêtes à se laisser emmener par ces héros d'un jour dans le tourbillon d'une valse ou dans le tourbillon de la vie.

Toutes les Kilbe avaient un point commun : le lundi, Kelwa-Mandig. Comme si la fête avait besoin d'une rallonge pour se terminer en beauté. La Kilbe avait son lundi comme Pâques et comme la Pentecôte. Les habitants du village prenaient congé. Le ministère de l'Éducation nationale libérait les enfants pour quelques derniers tours de manège. C'était la fameuse "journée du maire". Et le soir, dans les bistrots, on dégustait du hareng : le hareng soigne la gueule de bois.

Source : Huguette Dreikaus, L'Almanach d'Huguette 2004


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